Interview de Jean-Michel Bertrand à l’occasion de la sortie de son film “Vivre avec les Loups” le 24 Janvier 2024

Bonjour Jean-Michel,

Le troisième film de ta trilogie sur les loups sort en salle le 24 janvier 2024, il s’intitule « Vivre avec les Loups ».

Après avoir découvert ces animaux lors de la « La vallée des loups » (2016) et compris un peu mieux qui ils étaient dans « Marche avec les loups » (2019), c’est aujourd’hui la cohabitation de l’homme avec ce prédateur, revenu sur le territoire métropolitain en 1992, qui se pose dans ce troisième film.

Pourrais-tu nous éclairer sur les opinions qui s’affrontent actuellement en France sur le retour du loup ?

Les opinions sont très variées sur ce sujet. D’un côté le grand public est favorable au retour des grands prédateurs, avec une tendance à regarder la nature autrement. D’un autre côté, il y a la chasse, avec des chasseurs pour lesquels le retour du loup n’est pas un problème mais dans des instances comme la Fédération Nationale des Chasseurs il y a une véritable levée de boucliers contre les loups, avec certains chasseurs qui sont dans le mensonge et le complotisme dans les propos tenus, « le loup va tout bouffer » « les loups vont tout faire disparaitre ». Puis il y a le monde de l’élevage pour qui le loup n’a jamais été un ami. Il représente une contrainte réelle mais il existe deux façons de réagir face à cette réalité. Certains éleveurs et bergers (personnes qui gardent les troupeaux en alpage notamment) sont fatalistes, « les loups sont là », et cherchent à coexister au mieux avec.

Propos recueillis par Marie Jacquier, Dr Vétérinaire et secrétaire de VPB

À l’inverse certains éleveurs, et les syndicats agricoles surtout, disent que l’élevage est incompatible avec la présence des loups et ne cherchent pas à aller plus loin dans la coexistence possible qui pourrait être mise en place. Au final, il existe un véritable clivage entre des gens qui ne connaissent pas vraiment les loups et qui sont pour son retour et ceux qui sont confrontés au loup et qui sont contre.

Pour toi, comment concilier l’élevage et l’acceptation de la présence de ce prédateur revenu dans nos contrées ?

J’ai pu constater que tout dépend de l’ouverture d’esprit et de la façon d’être au monde des personnes qui doivent faire face au loup. Il n’y a pas de recette miracle. On connait les meilleurs moyens de protection, les clôtures électrifiées, les chiens de protection et la présence humaine qui doivent être implémentés ensemble. Mais rien n’est infaillible et l’efficacité des moyens de protection diffère selon le type d’élevage, le lieu géographique, le biotope. Les éleveurs qui se disent que la nature est un tout dans lequel ils mènent leur activité sont beaucoup plus ouverts à l’acceptation des dégâts et fatalistes. Les loups sont un paramètre naturel comme un orage ou un éboulement, ces éleveurs sont donc moins affectés car ne considère pas les attaques de loup comme une attaque personnelle. À l’inverse, pour les éleveurs avec une mentalité de domination, qui veulent décider de ce que doit être la nature et qui n’acceptent pas la nature sauvage alors le loup devient un vrai problème. De vrais traumatismes peuvent avoir lieu suite aux attaques car les éleveurs ne sont pas prêts à accepter la présence des loups. Ces éleveurs sont formatés psychiquement pour ne pas accepter la réalité et se sentent personnellement agressés.

Les solutions proposées pour la protection des troupeaux, quand elles sont bien mises en place, sont-elles efficaces pour limiter la déprédation (prédation sur des animaux domestiques) et améliorer la cohabitation entre les éleveurs et les loups ?

Les méthodes ne sont pas infaillibles et sont plus ou moins compliquées à mettre en place, mais elles sont efficaces. Un des problèmes qui peut émerger ce sont les chiens de protection. Les chiens sont plus ou moins sociabilisés, plus ou moins élevés et ce sont des êtres vivants. Les chiens, au même titre que les loups, sont instrumentalisés par certaines personnes qui disent « vous voulez des loups mais vous avez des chiens agressifs donc tant pis pour vous ». Cet aspect-là est très complexe. Il y a encore un énorme travail à faire dans le choix des races, la sociabilisation des chiens et un travail auprès des usagers de la montagne qui doivent tenir compte de la présence de ces chiens et qui doivent se comporter en conséquence pour limiter/éviter les conflits d’usage. Les chiens sont probablement le nouveau défi à relever dans le futur.

Aujourd’hui en France le loup est une espèce protégée mais qui fait l’objet de dérogations et de tirs de plus en plus nombreux. Pourquoi ces tirs ? Sont-ils efficaces et pertinents pour limiter la déprédation ?

Tirer un loup pour défendre un troupeau quand il y a une attaque réelle n’est pas un problème en soi. C’est de la légitime défense et la nature elle-même ne fait pas de cadeau. La défense de la territorialité fait partie du système de fonctionnement des grands prédateurs, et l’homme et le loup sont des prédateurs. Toutefois, un loup mort n’apprend rien. L’effarouchement est un moyen efficace pour arrêter, éviter une attaque et pour permettre l’apprentissage au reste de la meute. Les loups qui deviennent craintifs ou qui ont eu mal enseigneront cela à leur descendance, à savoir éviter d’approcher des troupeaux.

Ce qui est très dommageable aujourd’hui se sont les tirs de régulation et les quotas de loups qui peuvent être tirés. On peut tenter de réguler des ongulés sauvages, s’il n’y a pas de prédateurs, mais quand on régule des prédateurs on crée le chaos. On favorise des reproductions plus importantes et multiples, qui ne sont pas dans la biologie des loups, et on crée des dispersions erratiques et plus importantes. En effet, quand on tire dans une meute de loups au hasard on crée du mouvement et les loups sub-adultes, pas encore pleinement autonomes et opportunistes, n’ont pas le groupe autour d’eux pour structurer des chasses de grands ongulés, ils vont donc aller s’attaquer à des proies faciles comme les animaux domestiques. Le tir de loups au hasard c’est du populisme, de la démagogie et du mensonge. On veut faire croire au monde de l’élevage que la régulation des loups est efficace. Or la diminution du nombre de loups ne diminue pas les attaques. En 2021 les espagnols ont décidé d’interdire la chasse aux loups pour limiter la déprédation sur les troupeaux.

(Pour plus d’informations sur les tirs de loups voir la thèse de Oksana GRENTE et l’article résumant les résultats de la thèse)

As-tu pu rencontrer des acteurs du monde vétérinaire qui s’intéressaient à cette thématique et quels ont été les retours que tu as eu de notre profession ?

Les vétérinaires dans les Hautes Alpes sont en lien permanents avec les éleveurs et sont en première ligne quant à la façon dont les éleveurs perçoivent ce nouveau problème du loup. C’est une profession privilégiée car elle peut établir le dialogue et servir d’intermédiaire pour connaitre l’état d’esprit des éleveurs et leur état de bonheur/malheur. Comme les médecins, les vétérinaires ont le pouvoir de rassurer ou au moins d’avoir de l’empathie avec les éleveurs souvent isolés socialement. Le contact avec le monde de l’élevage et la nature est primordial dans le rôle de médiation, de soutien et de compréhension face à cette problématique du loup et cette réalité de terrain. La plupart des vétérinaires rencontrés comprennent la complexité de cette problématique et ne sont pas pour ou contre le loup. Ils ont un retour éclairé et réaliste sur cette situation avec une vision concrète. Pour conclure, les clivages qui s’affrontent autour du retour du loup sont souvent instrumentalisés dans des débats qui ne font pas avancer la problématique réelle de terrain et qui servent comme argument dans des considérations qui dépassent le seul monde de l’élevage. Ce sont deux façons d’appréhender et d’accepter la vie et le vivant qui s’opposent à travers cette image du loup. Le fait d’être « pour » ou « contre » le retour du loup est dépassé. C’est arrogant et c’est une vision surplombante de l’humain qui décide qui doit vivre ou non.